Le blues du zéro
Suite au commentaire de Madame Columbo Pascal hier matin, inutile de vous dire que j'ai été un peu surpris, ému, et même un poil flatté par le portrait élogieux qui a été brossé de moi par mon épouse dans le Poliblog (je vous jure, si ça continue elle va s'insinuer jusque dans mon tiroir à slips !). Cependant, lecteurs chéris, je dois bien vous l'avouer, je ne peux pas adhérer à 100% au point de vue de madame Pascal, et encore moins à son enthousiasme un peu béat quand elle songe aux qualités qu'elle prête à son mari, un... "raté" dont la chute ne semble plus devoir connaître de fin, et qui a en plus mal au crâne de 80 à 90% du temps...
Ce n'est la faute de personne, sauf peut-être celle de médecins extraordinairement incompétents ou (et) de recruteurs notoirement je m'en foutistes, mais le fait est qu'après presque cinq ans de chomdu et de problèmes de santé qui s'aggravent, tous ceux qui vivent le même genre de drame personnel que moi doivent naturellement se sentir bien plus à l'aise dans les pompes de Bernie Laplante que dans celles de Peter Parker.
Bernie, pour ceux qui l'auraient oublié ou qui n'auraient pas vu le film (pas aussi anecdotique qu'il en a l'air), c'est le personnage central d'Héros malgré lui ("Hero", en amerloque), un film de Stephen Frears où Dustin Hoffman campe le rôle d'un raté magouilleur qui, par certains côtés, est un être foncièrement abject et méprisable, mais qui à d'autres moments est capable de se comporter en homme hors du commun, risquant sa vie pour en sauver d'autres quand une majorité de donneurs de leçons fuiraient en courant après avoir, dans un premier temps, bien trempé leurs pantalons... Un type comme il en existe des centaines de milliers, sans doute, mais qui passent le plus souvent totalement inaperçus, l'enseignement principal du film n'étant pas que "nous sommes tous des héros", comme le dit celui qui dans le film va s'attribuer un exploit réalisé par le modeste Bernie (Andy Garcia campe le rôle de ce profiteur qui repousse toujours plus loin les limites de l'immoralité), mais que nous avons tous, à certains moments, la possibilité de le devenir. Parfois malgré nous.
N'en déplaise à ma tendre moitié donc, je ne suis pas l'homme le plus courageux de la terre. Non. Et pas plus que Bernie, qui n'agit que poussé par des circonstances exceptionnelles, je ne suis le héros que ma femme se plaît à imaginer. En revanche, je crois réellement dans la théorie selon laquelle nous pouvons tous devenir de petits héros, au quotidien, soit en cherchant à nous améliorer, soit en ne baissant pas les bras quand la vie nous réserve des épreuves qui en font vaciller certains ou qui en aplatissent d'autres, ceux qui arrivent à rester droits comme des "i" n'étant d'ailleurs pas forcément plus forts ou plus courageux que les autres...
Rester droit comme un "i", je pense, c'est surtout une question de volonté. Le courage, c'est tout à fait autre chose. La volonté, à mon sens, c'est un outil qui n'est jamais superflu pour ceux qui n'ont pas l'intention de "plier" face à l'adversité, même si dans mon cas il lui arrive d'être tellement émoussé que je me demande s'il peut encore servir à quelque chose...
Refuser de "plier", face aux problèmes de santé et de boulot notamment, c'est peut-être aussi, bien plus modestement, une affaire d'espoirs (ils sont souvent déçus), de connerie (qui n'a jamais de limite) ou d'inconscience (qui permet de toujours croire au Père Noël), une sorte de défi que l'on se lance quotidiennement parce qu'on sait que si on ne le remporte pas chaque jour, l'un après l'autre, alors c'est la fin des Cassegrain™... C'est là, au mieux, que se situe ma seule originalité, ma seule forme de "courage", et elle ne fait de moi ni un héros ni bien sûr l'homme le plus courageux de la terre : que l'on parle de santé, de travail ou de tout autre chose, plier, c'est une chose que j'ai toujours refusé de faire, et même si ce statut assumé de tête de pioche m'a souvent coûté beaucoup plus qu'il ne m'a rapporté jusqu'à maintenant, en particulier dans ma vie professionnelle, je dois dire que même si j'ai lamentablement raté quelques occasions dont beaucoup se seraient contentés, passant peut-être inconsciemment mais quand même volontairement à-côté d'opportunités mégachiantes, qui auraient pu être "parfaites" pour moi aux dires de "relations" qui ne juraient que par les fellations ou cunnilingus pour "arriver" dans l'entreprise, et qui vous vous en doutez ne manquent jamais de vous expliquer à quel point vous avez tort quand vous faîtes certains choix politiquement incorrects à leurs yeux, globalement, je suis fier de ce que j'ai accompli (malgré tout), tout comme je suis fier de tout ce que j'ai réussi à ne pas devenir : bien pire qu'un zéro, un malheureux, ou pire encore, une... pourriture, qui n'arrive même plus à soutenir son propre regard dans le reflet d'un quelconque miroir.
Bien sûr, si j'ai beau, comme tout le monde, rêver constamment de choses meilleures pour moi et pour les miens, je ne ressens pas pour autant un besoin "irrépressible" de me débarrasser du Bernie Laplante qui sommeille en moi : un jour, quand son heure sera venue, Bernie mettra les bouts, et ce jour-là d'ailleurs, d'autres qui me vomissent allègrement dessus à l'heure où j'écris ces lignes se mettront peut-être à penser eux aussi, tout à coup, que je suis le type le plus courageux qu'ils aient jamais connu ('seront bien accueillis, ces cancrelas), mais d'ici-là, ma petite fleur (et là je m'adresse à madame Pascal), ben personne n'a besoin de savoir le calvaire que représente parfois pour moi la rédaction du Poliblog. Surmonter la souffrance physique, aussi intense puisse-t-elle être parfois, ce n'est rien par rapport à cinq ans d'inactivité forcée, et de mon point de vue en tout cas, ça ne fait de personne un héros, tout simplement parce qu'il y a des choses que l'on subit sans vraiment avoir le choix, et la douleur en fait partie, et d'autres que l'on subit mais contre lesquelles on peut et "on doit" continuer à lutter, comme le chômage. On fait un peu comme on peut, le principal étant de ne jamais baisser totalement les bras.
Les problèmes de santé en plus du chômage, pour autant, ce n'est pas rien, même et surtout quand c'est le lot quotidien d'une foultitude de gens que je serais presque tenté d'appeler des "soeurs et des frères de douleur", si je me prenais pour l'abbé Pierre, que parmi beaucoup d'autres, l'Etat français a délibérément choisi de laisser crever en les privant autant que possible de tout accès aux soins et à l'emploi.
Le plus révoltant, dans ce génocide "démocratique et médiatiquement acceptable", c'est que toutes celles et tous ceux que l' "on" transforme en zéros n'auraient, souvent, pas besoin de grand-chose pour devenir de vrais héros, capables de se construire une vie que d'autres (DRH, etc.) jouissent de pouvoir réduire à néant d'un simple trait de crayon. Ils sont admirables pourtant, ceux qui se battent au quotidien, désireux même, souvent, de travailler pour pouvoir faire bouffer leur famille, même si cela suppose qu'ils s'engagent aussi à financer les voyages et les parties de jambes en l'air d'un branquignol qui se prend pour une réincarnation de Jésus tendance Wall Street...
Mais je cause, je cause, ces réflexions n'ont aucune espèce d'importance. Je sais à l'avance qu'elles ne rencontreront pas le moindre écho, qu'elles resteront toujours on ne peut plus absconses pour une majorité de blattes parmi celles qui nous gouvernent et chez lesquelles, dans le meilleur des cas, l'adoration de soi et le mépris du genre humain dans son ensemble ont pris une telle ampleur que plus rien ne saurait justifier qu'on ne les extermine pas...
Les sondages qui rendent compte de la crainte des Français en général pour leur avenir ne laissent d'ailleurs pas le moindre doute sur le sujet : du héros motivé au zéro qui ne veut plus qu'en découdre, il n'y a qu'un pas, parfois représenté par le passage d'un appartement chauffé à un bout de carton qui lui ne l'est jamais.
A l'Elysée comme à Matignon, on continue de se cogner royalement de tous ces sujets et de se foutre ouvertement de la gueule des Français, en vidant allègrement le portefeuille de ceux qui en ont encore un. Il faudra pourtant bien, un jour, que tout cela s'arrête, et qu' "on" en paie le prix, la note risquant d'ailleurs d'être particulièrement salée pour certains.
P.-S. (pour ma petite fleur) : moi aussi je t'aime ; moi aussi, je suis fier de toi, de ce que tu as su rester et des prouesses que tu réalises chaque jour en ne butant pas un(e) con(ne) qui t'emmerde au boulot, et moi aussi, enfin, je sais combien tu es courageuse de supporter tout "ça"... dont je fais partie, en tant que zéro que malgré moi.