Quand Marine porte son père à bouts de bras
Nouvelle émission ce soir sur i>télé, intitulée "On ne va pas être d'accord" et animée par Bruce Toussaint.
Pour la première de la série, à ma gauche, Julien Dray (PS) et Arlette Laguiller (Lutte Ouvrière), et à ma droite Patrick Devedjian (UMP) et Marine Le Pen (FN), le camp de la gauche faisant donc face au camp de la droite avec Bruce Toussaint au milieu, aidé d'une table assez longue pour éviter qu'une baffe qui serait partie de l'un des deux camps ne puisse atteindre celui d'en-face trop facilement...
Contre toute attente, c'est encore Marine Le Pen qui s'est distinguée dans l'émission, prenant assez facilement l'ascendant sur un Julien Dray et sur un Patrick Devedjian qui n'auront pas porté bien haut, ce soir, les couleurs du parti socialiste et de l'UMP.
Dray s'est notamment fait moucher par la petite Marine en disant, à-propos des sans-papiers, que l'Etat devrait poursuivre les patrons qui les emploient (attaque en règle contre Nicolas Sarkozy), ce à quoi Marine Le Pen répond, en gros, que l'on ne peut pas citer un seul cas dans lequel l'Etat aurait poursuivi un employeur pour la même raison sous le Gouvernement de Lionel Jospin... Aïe ! Raté pour Julien Dray, qui s'est pris une si grosse claque (malgré la table) qu'il n'a même pas osé poursuivre sur le sujet. Et pour Julien Dray, le reste de l'émission a été dans le même ton. Le "Conseiller chargé de la coordination des portes paroles" ne s'est pas montré plus performant pour défendre les dernières prises de position de Ségolène Royal en matière d'identité nationale, qui ont bien fait rire Sarkozy et qui ont bien fait bondir tous les leaders de l'extrême-gauche (auxquels on doit même rajouter les Verts), François Bayrou préférant adopter une attitude de mépris quasi-bouddhique.
Comme Julien Dray, Patrick Devedjian est un orateur plus que moyen qui, une fois sorti des formules toutes faites et de la ligne officielle, s'est ce soir montré incapable de défendre efficacement le programme de l'UMP. Devedjian a, d'une certaine manière, été "balayé" par une Marine Le Pen qui était ce soir en grande forme, et qui n'aurait fait qu'une bouchée de la plupart des politiques s'exprimant dans le cadre de la campagne (à tel point que j'ai oublié sur quoi portait la partie de la discussion pendant laquelle Devedjian s'est fait laminer par Marine Le Pen... Si j'arrive à le retrouver, je modifierai ce texte en conséquence).
Arlette Laguiller, restée bloquée sur un discours trotskiste datant de 1905, a du batailler plus que Marine Le Pen pour se faire entendre (handicapée par une réserve naturelle qui ce soir n'était pas un atout), mais elle a également réussi la plupart de ses interventions face à un Julien Dray (qu'elle ne voit pas comme un homme de gauche) peu loquace et à un Patrick Devedjian déjà "sonné" par les assauts répétés d'une Marine Le Pen ultra-efficace : Arlette a profité de l'émission pour rappeler sa position, en tant que candidate, qui consiste notamment à placer les questions des profits des entreprises, des licenciements, du chômage, de la précarité et de la pauvreté au coeur du débat présidentiel.
Chose assez hallucinante, à certains moments il a même semblé régner une sorte de tolérance mystérieuse, de solidarité spontanée, voire même d'entente tacite entre Arlette Laguiller et Marine Le Pen dont les discours se rejoignaient sur plusieurs points : situation économique catastrophique (surtout FN), assortie de nombreux drames humains (chômage, licenciements, etc.), nécessité de taxer les importations (FN) ou d'interdire les licenciements dans les grandes entreprises qui réalisent des profits (LO)... Deux visions d'une France qui, sans jamais être vraiment concordantes, paraissaient s'emboîter on ne peut plus naturellement. Les "anti-système" réunies pour terrasser deux purs produits du système, en quelque sorte.
L'émission s'est donc déroulée dans un climat qui, à la longue, est devenu un peu surréaliste : Dray traîté comme un homme de droite par sa voisine Arlette Laguiller, Devedjian révélé par sa voisine Marine Le Pen comme le valet pathétique d'un candidat qui ne connaît rien des préoccupations quotidiennes des Français... Le téléspectateur n'assistait plus du tout au combat de deux candidats de gauche contre deux candidats de droite, mais au combat de deux femmes efficaces et visant des objectifs pas si différents contre deux hommes d'appareil, défendant plutôt maladroitement des projets en apparence très similaires. C'est sans doute ce qu'auront retenu d'autres spectateurs de l'émission.
Seul point de discorde criant entre Marine Le Pen et Arlette Laguiller, l'immigration, mais il fallait s'y attendre : Arlette est pour régulariser systématiquement alors que Marine veut couper les vannes de l'immigration.
Résumé volontairement allégé du contenu de l'émission : Dray et Devedjian se sont faits purement et simplement "éjecter du débat par les filles". Des bleus auraient sans doute fait mieux !
Là où Marine Le Pen a été très performante, et même réellement plus performante que tout le monde pour tout dire (y compris Arlette Laguiller), c'est en parsemant son discours d'exemples concrets qui correspondent aux vraies préoccupations des Français, citant même des points qui n'avaient sans doute pas été choisis au hasard, car étant de nature à mettre des professions ou des corporations, voire des classes entières dans la poche du FN : TVA à 5,5% pour la restauration, chômeurs ignorés par l'UMPS, immigrés reçus à bras ouverts pour être ensuite parqués comme du bétail dans des HLM délabrés, etc.
C'est un fait, Arlette Laguiller et Marine Le Pen ont été les seules, parmi les quatre politiques ou porte-paroles présents, à vraiment parler du chômage, du pouvoir d'achat, de la protection devenue nécessaire des entreprises françaises par des mesures concrêtes... un discours que l'on a vainement attendu d'entendre dans les bouches, souvent cousues, de Patrick Devedjian et de Julien Dray. Du coup, les représentants de l'UMP et du PS ont paru être totalement déconnectés de la réalité. Ils ont même contribué volontairement à "aggraver leur cas" : Julien Dray en n'étant obsédé que par l'idée de rattraper la dernière boulette de Ségo (drapeau français), et Patrick Devedjian en n'étant motivé que par l'obsession de poignarder un François Bayrou qui, selon lui, ferait de la France un pays ingouvernable.
Si l'élection s'était jouée sur cette seule émission, le second tour de l'élection présidentielle n'opposerait donc pas l'UMP et le PS, mais le Front National et Lutte Ouvrière !
Globalement, cet épisode, assez instructif, montre que lorsque l'on est candidat à la Présidence de la République, il vaut mieux s'abstenir d'envoyer quelqu'un vous représenter dans une émission de télévision plutôt que d'y envoyer un orateur de piètre qualité. François Bayrou, par exemple, qui n'était ni présent ni représenté dans l'émission, a ce soir lui aussi... marqué des points grâce aux prestations minables de Dray et de Devedjian !
Mais Arlette ? Difficile de dire si elle a marqué des points pour sa candidature. Par contre, on sort de l'émission renforcé dans la certitude que Lutte Ouvrière ne soutiendra pas le parti socialiste, ni au premier ni au second tour. Encore moins après l'affaire des drapeaux.
Pour Marine Le Pen par contre, aucun problème. Ce premier numéro de "On ne va pas être d'accord" n'a pas été une balade mais on n'en était vraiment pas loin. Ce soir, le FN a une nouvelle fois marqué des points, en se payant même le luxe de démontrer qu'il existe un terrain, assez dangereux pour eux, sur lequel ni le PS ni l'UMP ne peuvent affronter Jean-Marie Le Pen : celui des réalités quotidiennes qui ne sont plus seulement "connues", mais de plus en plus souvent "subies" par de nombreux Français... bien loin des discours inutilement grandiloquents du PS et de l'UMP.
Jean-Marie Le Pen lui-même n'a sans doute qu'une très vague idée de ce qu'est la vie quotidienne pour la plupart des Français, mais contrairement aux autres... il lit ses notes, et n'a pas besoin d'une ramette de papier pour faire un discours qui tienne presque debout (toutes proportions gardées). Alors Le Pen, une valeur qui monte ? Cà se pourrait bien. Et la petite Marine pourra se vanter d'avoir apporté de nombreuses pierres à l'édifice.