Coup de Kärcher sur Bayrou

Dans la limite des contraintes qui me sont imposées par la loi à l'approche du premier tour (mots employés), voici ce que je peux vous dire, ce soir, sur ce que je vois comme "le" plan diabolique de l'UMP pour flinguer François Bayrou au premier tour (ou au deuxième), dont je vous parlais hier sans savoir encore qu'il s'agirait de ceci...

Nouvelle du jour (journée de vendredi) : l'UMP n'exclut plus totalement une alliance avec l'UDF en cas d'absence de François Bayrou au second tour !

Un véritable coup de tonnerre pour ceux qui suivent l'actualité, car il y a encore deux jours, Nicolas Sarkozy avait sévèrement critiqué François Bayrou, bien plus proche en ce moment de la gauche que de l'UMP, lors d'un meeting à Issy-les-Moulineaux. André Santini, maire de la ville, en avait même rajouté une couche en laissant entendre que Nicolas Sarkozy serait opposé à Jean-Marie Le Pen le 6 mai (preuve que le cigare, ça n'a l'air de rien mais ça abîme quand même le cerveau à la longue).

Que faut-il en conclure ? Peut-être que le plan échafaudé par l'UMP pour découper François Bayrou en rondelles avant le premier tour est en train de se dérouler sous nos yeux... pas éblouis, parce que nous sommes au moins aussi fûtés que les stratèges les plus tordus de l'UMP.

Elle est vraiment vicieuse, cette petite annonce distillée innocemment, ça et là, par les porte-flingues de Nicolas Sarkozy depuis vendredi matin, car pour l'UMP c'est un moyen de faire resurgir l'idée (même si celle-ci est moins vraie que jamais) que Nicolas Sarkozy et François Bayrou, c'est bonnet blanc et blanc bonnet ! Voter pour l'un équivaudrait donc à voter pour l'autre, en tout cas dans l'esprit... De quoi faire fuir à toutes jambes les électeurs de gauche qui hésitaient encore à soutenir la candidature du béarnais au premier tour, et rien que sur ce plan-là, l'idée est déjà TRÈS INTÉRESSANTE pour l'UMP : si Bayrou se faisait sortir dimanche prochain, (conformément à la loi...) "qui vous savez" pourrait se retrouver face à "qui vous savez" le 6 mai, avec les conséquences que vous savez aussi...

Mieux encore : en évoquant ne serait-ce que "la possibilité" d'un rapprochement entre l'UMP et l'UDF, les représentants de l'UMP compromettent gravement (voire définitivement) une éventuelle alliance entre les socialistes et l'UDF au second tour. François Bayrou, qui serait redevenu au moins dans l'esprit un ennemi juré du PS, puisqu'il serait à nouveau "cul et chemise" avec Nicolas Sarkozy (ou l'un de ses sbires), serait plus infréquentable que jamais pour les Hollande, Fabius et autres qui voulaient déjà accrocher sa peau à un mur ! Il est même probable que Rocard, Kouchner et d'autres, tout en n'étant pas forcément dupes, seraient obligés de lâcher Bayrou et de faire leur mea culpa ! A moins qu'ils ne rejoignent définitivement l'UDF. Plus question d'alliance, en tout cas, entre le PS et Bayrou quand Sarko fait dire par ses valets qu'il ne serait pas contre l'idée de passer une nuit ou deux avec le patron de l'UDF !

Le plan peut-il fonctionner ? Nicolas Sarkozy peut-il vraiment sortir François Bayrou au premier "et" au deuxième tour aussi facilement ? Pour le premier tour en tout cas, ce sont les électeurs qui trancheront.

Soit ils vont tomber dans le panneau et Bayrou, devenu trop proche de Sarkozy, pourrait être lâché rapidement par un nombre indéterminé d'électeurs de gauche qui le soutiennent encore, mais aussi par des électeurs de droite qui, quitte à voter pour Sarkozy, préféreront voter pour l'original, soit ils resteront sourds au discours des Borloo et autres, dont le véritable objectif est, pour le moins, très éloigné de ce qu'ils disent... et peut-être encore plus éloigné de ce qu'ils pensent ! Borloo lui-même n'en sait probablement rien, mais en réalité on a du lui demander (ou lui suggérer) d'appuyer sur un bouton sans lui dire qu'il s'agissait du levier qui commande le siège éjectable de François Bayrou. Borloo, qui n'a rien pigé... a tapé dessus à coups de masse ! (voir article du Nouvel Obs mentionné à la fin du sujet)

Pour flinguer François Bayrou, l'UMP se sera donc contentée de lui coller une grosse étiquette bleue sur le front, via la marionnette Borloo, via aussi un autre porte-parole de l'UMP que j'ai vu aujourd'hui à la TV, plus quelques autres sans doute (Bertrand ? Fillon ? Peut-être bien Fillon, que j'ai vu passer ce soir dans le Grand Journal de Canal Plus).

C'était exactement ce qu'il fallait faire pour démolir le béarnais : une fois Bayrou "ré-estampillé" de droite (malgré lui) et éjecté au premier tour, la droite sarkozienne devrait récupérer "ses" droitiers et même une partie des centristes (c'est-à-dire la majorité de l'électorat de Bayrou) pendant que la gauche, de son côté, ne pourrait récupérer que des brebis égarées, qui sont moins nombreuses et qui ne sont a priori pas très motivées pour soutenir Ségolène Royal (puisqu'elles avaient choisi au départ de soutenir Bayrou).

Bayrou décapité, Royal décapitée... Là, mes ami(e)s, c'est du grand, et même du Très grand art, car si le plan de l'équipe Sarkozy fonctionne, l'UMP ferait bien d'une pierre deux coups : d'abord en créant les conditions pour que Bayrou soit lâché par une bonne partie de son électorat (de droite comme de gauche) au premier tour (disparaissant ainsi du paysage), ensuite en récupérant immédiatement la majorité de son électorat pour écrabouiller Ségo au second tour !

Même si le stratagème de l'UMP échouait et que François Bayrou parvienne à se hisser jusqu'au second tour (et même s'il était élu !), le béarnais pourrait rester à jamais marqué du sceau de l'infâmie : il aurait trahi les centristes, en roulant d'abord pour la gauche et ensuite pour la droite (selon les termes du plan Sarko) mais sans jamais rouler pour le centre, il aurait trahi la gauche en se rapprochant de la droite en bout de course (ce qui est totalement faux, mais c'est l'idée que cherche à imposer l'équipe Sarkozy), et il aurait aussi trahi la droite en faisant du pied à la gauche dès le début de la campagne (ce qui pour une fois est vrai).

Dans tous les cas de figure, Bayrou serait LI-QUI-DÉ ! Et s'il devait en réchapper, il ne pourrait plus guère compter que sur des Borloo pour lui tendre la main.

Il est extraordinaire, ce plan, n'ayons pas peur de le dire ! Sans doute le pire coup de p... que j'aie vu depuis que je m'intéresse à la politique. Dommage, simplement, qu'il dépende tellement du choix des électeurs. Sur le papier, le plan de Sarko pourrait très bien réussir, mais dans la vraie vie, les Français ont une fâcheuse tendance à ne jamais se révolter quand on le voudrait et à toujours se révolter quand on ne le voudrait pas. Un petit détail qui montre toute l'intelligence et, en même temps, toute la bêtise des calculs les plus complexes : le plan mémorable dont je vous parlais hier, et qui est à mon avis celui-là, pourrait se traduire par une véritable crucifixion de Bayrou, tout comme il pourrait ne rien donner du tout.

Le plus vertigineux dans tout ça, c'est de se dire que Jean-Louis Borloo mourra avant d'avoir compris le rôle qu'on lui a fait jouer dans cette histoire. Le pauvre Borloo en est resté à l'idée... qu'il fallait une majorité pour gouverner ! Il n'a encore rien compris au film.

http://tempsreel.nouvelobs.com/speciales/elysee_2007/20070420.OBS3135/udfump__borloo_joue_lapaisement.html

Comments

[Poliblog]

Faute de temps, je pense que je ferai l'impasse sur une définition de l'extrême-droite, "dans les règles", mais j'irai voir votre lien (merci !) et nous pourrons toujours disserter via les commentaires.

;-)

[jgimenez]

"Violemment", je m'en garderai bien.

Est-ce que vous prévoyez de commencer par une définition de l'extrême droite ? Ca aidera certainement la clareté du débat.

Bonne soirée !


PS : un message concernant la sémantique relative à la seconde guerre mondiale actuellement utilisée :
http://pourquoisarkozy.canalblog.com/archives/2007/04/21/4699627.html

[Poliblog]

Je ne vais pas trop la ramener. Contraintes légales obligent, je ne peux pas dire exactement de quoi il s'agit, mais je vais faire prochainement un sujet sur le thème "Sarko, nouveau champion de l'extrême-droite ?" (ou en parler dans un sujet plus global). Je me doute que cela va vous heurter, mais il s'agira quand même d'une analyse assez objective, vue de mon côté : pas de l'anti-Sarkozy primaire, mais une question que je me pose et que je pose aux autres. Vous serez évidemment le bienvenu si vous réagissez, même violemment.

[jgimenez]

Bien vu.

Il y a bien d'autres choses à considérer, et je vous remercie de l'avoir rappelé. L'ampleur de la vague anti-sarkoziste m'a d'autant plus submergé que j'en ressens une injure. Etant moi-même humaniste et écologiste, quand on met le candidat que je trouve le plus clair et le plus crédible à l'extrême droite, ça me fouette un peu. J'ai réellement l'impression d'assister à une chasse aux sorcières.

Bien vu aussi, sur le fait qu'ils sont 12. Quand j'enlève les extrêmes et les réductionnistes, je n'en vois plus que 3 (PS-UDF-UMP). Etant libéral (un débat à ouvrir : pourquoi et comment le libéralisme est-il le meilleur terrain pour le développement humain), il ne m'en reste que 2. C'est déjà pas mal. Sur le principe, je préfère l'UDF à l'UMP, un peu moins patriote, un peu moins classiquement gauliste. Seulement, pour revenir aux idées des candidats, Bayrou a un positionnement glissant et des trous sérieux dans le programme.

[Poliblog]

Peut-être parce que vous l'avez collée vous-même, que vous avez tiré dessus au point qu'elle commence à se décoller et que cela n'est pas très ésthétique. Vous l'écrivez vous-même : "Dans cette campagne, j'ai le choix entre Bayrou et Sarkozy", pourtant il n'y avait pas moins de 12 candidats différents ! Voilà pourquoi je pense que le fait de lutter contre l'anti-sarkozisme primaire (initiative que je ne peux que saluer, même si je ne suis pas du tout fan de Sarkozy) est une forme de militantisme comme une autre, quand tout le discours s'articule autour de ce seul thème. A mes yeux, ce n'est pas forcément moins critiquable que l'attitude de Bayrou quand il dit qu'il est le seul à pouvoir battre Sarkozy. Réduit à cette lutte contre une idée qui ne vous plaît pas, votre combat me paraît être une forme de réduction et de déformation systématique de la réalité car enfin, dans cette campagne, il y a bien d'autres choses à considérer, non ?