Quand Sarkozy va trop loin
On savait déjà que Nicolas Sarkozy considérait un peu la France comme une boule de pâte à modeler qu'il convenait de refaçonner, en fonction de ce que le chef de l'Etat pense que la société "devrait être", à savoir, idéalement, une collectivité qui serait débarrassée (nettoyée) de tout ce qui semble insupporter le président de la République : pauvres et résignés, chômeurs et fainéants, salariés qui ne veulent pas travailler plus ou ceux qui se contentent de ce qu'ils ont, loubards de banlieue et criminels avérés, clandestins et ceux qui leur viennent en aide, rétrogrades ou écolos qui sont contre la recherche ou le progrès tels que Sarkozy les envisage...
En dressant la liste de tout ce qui ne plaît pas au président de la République, on arrive assez rapidement à une liste qui n'est pas sans rappeler la haine que la majorité de la population française semble inspirer à un autre candidat à l'élection présidentielle (José Bové), qui serait presque partisan de tirer à coups de fusil sur tout ce qui n'est pas "bovéien"... Dans un cas comme dans l'autre, la France devrait s'amputer de ceux qui sont "contre" celui qui s'arroge le droit de tout concevoir, de juger et de condamner sans audience ni tribunal, parce que le cerveau de ceux qui sont visés serait trop étroit pour mesurer l'intérêt des mesures et des projets présents ou à venir du président, parce que de la même manière il serait trop étroit pour percevoir la substantifique moelle d'un monde forcément meilleur proposé par Bové.
Face à Nicolas Sarkozy qui détient des pouvoirs bien supérieurs à ceux de José Bové, et bien que tout démontrait déjà que l'on s'acheminait peu à peu, depuis le 6 mai 2007, vers une société radicalement transformée dans les esprits avant de l'être dans les faits, personne n'a réagi ou presque, l'opposition constituée maintenant de tous les partis politiques français à l'exception de l'UMP et de l'UDF ne se faisant guère entendre que sur les mesures les plus tapageuses du président de la République.
Dans le même temps, les Français remarquaient qu'en-dehors de toute considération politique, le comportement de Nicolas Sarkozy en tant que chef de l'Etat ne cadrait plus vraiment, pour ne pas dire par du tout, avec ce que des citoyens peuvent légitimement attendre d'un président "qui saurait se tenir", une notion qui semble définitivement ne pas exister pas pour Nicolas Sarkozy, car ce que le président veut faire, le président le fait, et tant pis pour les on dit, tant pis aussi si en se comportant ainsi il scandalise certains Français qui ne peuvent qu'assister au show permanent et de plus en plus souvent pitoyable qu'est devenu l'exercice de la fonction présidentielle par Sarkozy.
Avec la nouvelle proposition du président de juger les irresponsables pour les crimes qu'ils commettent, on vient de franchir une étape supplémentaire et plus inquiétante encore que les précédentes, vers ce que l'on peut maintenant appeler une "mutation forcée de la France en Sarkoland", au terme de laquelle tout ce qui ne plaît pas au président de la République aura été purement et simplement éliminé.
Peu importe si en 1810 puis en 1992, le législateur avait décidé que les "fous" ne pouvaient pas être tenus pour responsables des actes qu'ils commettaient quand il étaient en état de démence au moment des faits... Un fait divers particulièrement horrible survenu le 18 décembre 2004 (une infirmière est égorgée et une autre presque décapitée par un ancien pensionnaire, schizophrène, de l'asile où les deux femmes travaillaient) a changé la donne : suspendu à la décision de la justice après la décision préalable du procureur de Pau qui demande un "non-lieu psychiatrique" pour le double assassin, Romain Dupuy risquait d'être blanchi.
Surfant une nouvelle fois sur une actualité qui lui permet de faire parler de lui, sans aucune considération pour les familles dont il dit partager la peine ni aucune considération pour un Code pénal qui est pourtant très clair sur le sujet, pas plus que pour le travail des médecins et des professionnels du Droit qui ont travaillé sur l'affaire, Nicolas Sarkozy a "décidé" que Romain Dupuy (et d'autres mais pour l'instant on s'en fout complètement, Sarkozy le premier) devrait être jugé pour les meurtres qu'il a commis.
En faisant cela, Nicolas Sarkozy va beaucoup trop loin dans l'exercice de sa fonction comme dans le mépris de tous, magistrats compris, car on s'y est maintenant habitués, les faux emportements toujours intéressés du président, psychiatre, juge, procureur et bientôt maton, si elle ne tiennent aucun compte "de ce qui se faisait avant", tiennent encore moins compte de l'extraordinaire état de délabrement de la justice française, qui n'a toujours pas de moyens, pas plus qu'ils ne tiennent compte du fait que la France est plus qu'à la traîne en matière d'hôpitaux psychiatriques, de prisons, etc.
On peut se féliciter, malgré tout, que le président de la République soit en train d'instaurer une nouvelle forme de société dans laquelle tout ce qui ressemble de près ou de loin à un fou sera enfermé avant d'être soigné, car au train où vont les choses, Sarkozy sera le premier à être bouclé.
Article 64 de 1810 - Il n'y a ni crime ni délit, lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l'action, ou lorsqu'il a été contraint par une force à laquelle il n'a pu résister.
Article 122-1 de 1992 - N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. La personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le régime.