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Poliblog indépendant
1 octobre 2007

Feu vert des Français pour gazer les fonctionnaires

holocausteEn France, le fonctionnaire moderne a si souvent été dépeint comme un être coûteux, inutile, voire foncièrement nuisible pour l'ensemble de la collectivité qui se saigne aux quatre veines pour lui garantir le versement d'un traitement mensuel qu'il ne mériterait jamais, dit-on, que plus personne ne s'émeut des discours qui attribuent aux agents de la fonction publique et à d'autres groupes de populations "à éliminer" la responsabilité de tous les maux.

Je ne ferai pas de commentaire particulier sur cet article du Monde (cf. lien plus bas), par exemple, si laconique qu'il en devient quelque peu effrayant puisqu'on y occulte quasiment le fait qu'il existe des créatures de chair et de sang derrière les nombreux pourcentages annoncés... Bah, à quoi servirait d'aller contre le vent après tout ? D'ailleurs je dois reconnaître qu'à mon petit niveau, j'ai sans doute contribué comme tout le monde à la formation des idées malsaines qui éclosent un peu partout en ce moment, puisque personnellement j'ai toujours vu la fonction publique comme une sorte d'"armée" en campagne, où pour chaque combattant qui va au front on compte quatre ou cinq individus restés à l'arrière, dont personne ne connaît ni ne mesure vraiment l'activité... Peut-être, sans doute était-il logique que l'on finisse par mettre tout le monde dans le même panier, à jeter au feu pour bien faire.

Au fil du temps, la lourdeur, connue, et l'opacité ou l'inefficacité réelles de la fonction publique en ont incité beaucoup à se dire que la meilleure chose à faire était d'entasser indifféremment tous les fonctionnaires dans des salles de douche, afin de les "traiter" au Ziklon B... Une solution finale qui ne devrait bien sûr jamais concerner les "hauts" fonctionnaires, ces êtres légendaires qui, c'est bien connu, ne font jamais partie de ceux qui bullent du 1er janvier au 31 décembre.

Ceux qui préconisent une réforme "rapide" (cela ne veut-il pas dire "radicale" ?), comme le dit l'article du Monde, ont-ils raison ? Faut-il supprimer les fonctionnaires de la même manière que l'on écraserait des cloportes qui se baladent sur le carrelage de la cuisine ? Personnellement je pense que non. En-dehors de l'ANPE, qui si j'en crois ce que j'ai pu constater à mon humble niveau, est probablement l'administration qui rassemble la plus grande proportion de véritables cloportes (essentiellement à sa tête, donc partout à la longue), mon opinion est que la plupart des administrations souffrent surtout d'une absence dramatique de vrais "managers" à leur tête, de gens qui ont envie de bosser. Ils sont nombreux, les fonctionnaires qui livrés à eux-mêmes ont fini par ne plus considérer leur travail que comme un mal nécessaire, mais après tout, quel que soit leur nombre, ils ne sont probablement pas responsables de ce qu'ils sont devenus, ou pour être plus précis de ce qu'on les a laissés devenir. Ainsi, on peut se demander si ceux qui pourraient se sentir visés par les discours d'éradication ne sont pas, simplement, à l'image de ce que la France elle-même est devenue. Au pire, ils ne croient plus en rien, donc certainement pas à la notion de "service public", ce en quoi ils ne diffèrent pas du tout de leurs homologues du privé, qui ne croient pas davantage en quoique ce soit, et surtout pas à la notion de service client.

Il y a donc, pour moi, quelque chose de choquant dans les projets qui se multiplient de mettre en oeuvre une sorte de plan national d'extermination des fonctionnaires. Dans l'indifférence générale, au mieux, ceux qui étaient déjà des coupables désignés sont devenus des victimes annoncées, voire souhaitables, grâce au martelage incessant d'un gouvernement qui ne se montre jamais aussi performant que lorsqu'il s'agit de dresser certaines catégories de Français les unes contre les autres.

Pourtant, en quoi un fonctionnaire lambda, même oisif, diffèrerait-il des centaines de milliers d'autres oisifs que l'on peut trouver dans les entreprises privées, le plus souvent aux postes de cadres ? Pourquoi devrait-on se débarrasser du fonctionnaire et pas du lémurien qui est monté en grade dans le privé en caressant l'entrejambe de son chef ? De même, un fonctionnaire est-il vraiment plus condamnable qu'un président de la République, qui passe sa vie à se reluquer dans l'objectif des caméras et qui coûte tellement plus cher à la collectivité ?

A bien y réfléchir, le "drame", authentique, des oisifs de l'entreprise privée ou de ceux qui le sont devenus est exactement le même que le drame quotidien du fonctionnaire que l'on se plaît à stigmatiser à la première occasion : beaucoup n'ont tout simplement plus de "patron", donc plus d'objectifs, plus de résultats à atteindre... plus rien. Plus aucune raison de se dire, à la fin d'une journée, qu'ils ont bien mérité leur traitement. A peu près partout, les objectifs sont fixés à la louche, les résultats, bons ou mauvais, ne changent absolument rien pour quiconque, et les efforts de plus en plus isolés des uns pour bien faire leur travail ne sont jamais reconnus à leur juste valeur, ceux qui font du gras toute l'année ou qui passent leur vie sous le bureau du chef de service ayant autant de chances d'être promus, sinon beaucoup plus.

Raisonnements que l'on évite de développer dans un contexte où l'on veut toujours aboutir au même constat : le fonctionnaire doit être éliminé parce qu'il est un branleur qui non content de ne rien rapporter, coûte en plus horriblement cher... C'est la version officielle, pas très éloignée de la légende du juif forcément voleur, tapi dans l'ombre et guettant le bon moment pour voler les braves Français en saisissant leurs possessions avec ses doigts crochus...

Les sondés qui militent presque, aujourd'hui, pour un indispensable génocide dans la fonction publique sont-ils conscients qu'ils condamnent, par défaut, des gens qui ne diffèrent guère de ce qu'ils sont eux-mêmes, de ce qu'ils sont devenus dans bien des cas ? Je n'en suis pas persuadé du tout. Et je m'inquiète de voir que la "méthode Sarkozy" continue chaque jour de faire des émules, auprès de ceux qui pensaient déjà que la résolution de "leurs" multiples problèmes doit forcément passer par l'élimination d'une autre catégorie de la population : les recruteurs veulent à ce point se débarrasser de la notion même de "chômeurs" qu'ils jettent directement leurs CV à la poubelle ; les jeunes abandonnés par leurs propres parents dans des banlieues grisâtres ont bien le droit de se poignarder entre eux, comme en Amérique, mais ils n'ont plus le droit de faire des raids dans le monde dit "civilisé", qui leur rappelle chaque jour que leur venue au monde a été un drame pour tout le monde ; quant aux fonctionnaires, régimes spéciaux de retraite ou pas, ils devront une fois de plus payer pour l'incapacité des Sarkozy, des Fillon et consorts à équilibrer simplement un budget, dont on annonce aujourd'hui qu'une nouvelle part va être engloutie dans un doublement des radars automatiques (!).

Le progrès par l'élimination des nuisibles a décidément de beaux jours devant lui, mais les fonctionnaires français prétendument en surnombre ayant été gazés ou incinérés, puis enfouis au bulldozer dans le terrain vague du redressement des comptes publics, qui va-t-on désigner demain aux citoyens comme frange de la population "à abattre" ou à entasser dans des salles de douche ? Peut-être les "roms" (ah pardon c'est déjà fait), ou le mauvais Français qui selon certains aurait oublié le sens des mots "Travailler plus, Famille aisée, Patrie nettoyée de ses cloportes"... De quoi apporter de l'eau au moulin des spécialistes de la masturbation intellectuelle qui pensent que l'Histoire se répète toujours de façon cyclique.

Serait-ce si compliqué de réformer vraiment, pour une fois ? De créer des conditions qui permettraient aux fonctionnaires de retrouver l'envie de se battre au service du public ? Ne pourrait-on pas les soutenir au lieu de les accuser constamment ? Les politiques semblent penser que c'est impossible ou que cela ne servirait à rien, que face à l'impossibilité de revenir en arrière on doit se débarrasser d'une masse grouillante qui aurait envahi le carrelage de la cuisine.

Pas mon cas... J'ai eu la chance, car cela en a été une finalement, de manager des "foncs" qui s'emmerdaient du matin au soir, encadrés par une bande de bras cassés dont aucun n'avait mérité le poste qu'il occupait, et ô miracle, en quelques jours seulement, tous ceux qui se faisaient tirer l'oreille pour bosser se sont remis au boulot, et certains qui étaient même connus comme le loup blanc pour se pointer en retard tous les matins se sont mis à arriver en avance. Preuve que la situation est loin d'être désespérée, sauf peut-être pour ceux qui n'y croient pas, qui souvent d'ailleurs ne croient plus en rien. Souvent, les mêmes ne foutent rien, et passent le plus clair de leur temps à reprocher aux autres de faire exactement la même chose qu'eux, que cela soit vrai ou faux.

Cela explique peut-être le curieux paradoxe : même si les citoyens se disent, globalement, plus ou moins satisfaits de la fonction publique, ils trouvent nécessaire de la "nettoyer". Violemment si possible. Va comprendre...

Les Français favorables à une réforme rapide de la fonction publique
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3224,36-961374@51-934350,0.html

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Commentaires
M
J'ai réussi, après sup et spé, concours grandes écoles et des circonstances (pas heureuses) ont fait que j'ai pris une autre orientation.<br /> C'est plus juste que le piston!
P
Personnellement j'ai passé un concours Banque de France il y a quelques années et un concours... ANPE. Je ferai un sujet dessus ce soir je pense, histoire d'expliquer ma position qui est que la suppression pure et simple des concours ne me dérangerait pas vraiment...
M
Ce qui est grave, c'est le projet de suppression de concours! Bonjour le piston et le clientélisme!
P
Enfin un témoignage qui provient de "l'autre côté" ! Tu as bien raison de te (vous) défendre, il n'y a pas que des bulleurs chez les fonctionnaires, j'ai aussi rencontré de sacrés bosseurs à France Telecom en ce qui me concerne. Pas la majorité mais ça existe. ;-)
K
Je suis fonctionnaire et j'ai connu le privé (j'ai commencé à bosser en alternance à 17 ans) et une entreprise publique (la SNCF) et franchement, je ne me suis jamais touchée au boulot (pas le temps!).<br /> A la sncf, j'étais guichetière dans une gare RER puis aux grandes lignes avec une file ininterrompue de clients!<br /> Dans la fonction publique, j'ai été au service des étrangers ou je devais traiter 15 demandes de cartes par jour plus 3 demi journées de guichet par sermaine.<br /> A la DDE, avant mon congé parental,j'avais 5 réunions par semaine, plus les courriers, plus une équipe de 10 personnes à manager.<br /> Je n'ai aucun avantage relatif à ma fonction (sauf la sécurité de l'emploi mais à quel prix! avec la décentralisation, j'ai des collègues qui ont été mutés dans le 95 alors qu'ils vivent à Melun! et aucun recours, il n'y a pas de prud hom dans la fonction publique!)<br /> Il y a des incompétents partout.<br /> Tu sais , les fonctionnaires c'est comme les flics, les gens ne les apprécient pas mais le jour où ils en ont besoin, ils sont bien content de les trouver!<br /> Bon, c'était mon coup de gueule du jour!<br /> En tout cas, je vois que tes vacances ont été bonnes!<br /> bon retour parmi nous!
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