La honte
C'est terrible de vivre en France. Cet après-midi, j'avais rendez-vous dans une structure financée par le fonds social d'une entreprise qui propose une prestation gratuite d'accompagnement aux demandeurs d'emploi. Vu le temps de trajet, j'ai pris la bagnole, m'angoissant déjà pour les quelques pièces que j'aurais immanquablement à glisser dans l'horodateur à l'arrivée... Point de détail pour ceux qui bossent et qui n'en sont pas à compter chaque euro (pas le cas de tous les salariés), drame angoissant pour ceux qui sont obligés de tout compter.
Sans qu'il soit nécessaire de trop préciser le truc, on me propose un "pack" d'ateliers qui ont l'air relativement intéressants, qui tombe surtout à pic pour moi : après quatre ans de chômage, j'ai le moral au fond des chaussettes, et je commence à penser que le boulot c'est toujours pour les autres, que quand on a envie de travailler (pas plus, juste travailler) dans ce pays de merde, on n'arrive jamais à rien. Les grandes valeurs du moment qui sont la bulle, la corruption et l'hypocrisie ont gangrené une société qui considère les chômeurs comme des déchets, surtout quand ils ne sont pas indemnisés car alors on n'a aucune raison de financer leur retour à l'emploi.
Angoisse... Comment vais-je faire pour expliquer à la responsable du centre que je n'ai pas les moyens de m'offrir un ticket de métro trop souvent ? Que quand je suis à la maison, je saute déjà les déjeuners pour pouvoir m'acheter Marianne ou un bouquin de mots fléchés de temps en temps ? Qu'est-ce que je vais foutre pendant l'heure et demie de la "pause-déjeuner" ? Ou alors... A qui vais-je pouvoir demander de m'aider, encore une fois, pour pouvoir me payer un sandwich ?
J'ai honte. Mais je ne peux pas le dire. Ca ne se dit pas... Après les gens ont envie de savoir, ils posent des questions, te demandent sans pour autant être forcément mal intentionnées de leur raconter par le menu de quelle manière tu es devenu un chômeur, puis un pauvre, puis quelqu'un qui ne mange plus le midi.
Ca a achevé de bousiller mon moral, finalement, cette après-midi dont je pensais qu'elle pourrait le regonfler un peu.
Vu le contexte du moment avec les affaires EADS, Gautier-Sauvagnac, la grande truanderie des chiffres du chômage et les gesticulations d'un type qui ne devrait même pas exister pour chapeauter le tout... ce n'est pas moi qui devrais avoir honte, mais pourtant c'est le cas.