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Poliblog indépendant
8 avril 2008

Beijing-sur-Seine

drapeau_chinoisJe ne sais pas si ça transparaît clairement dans le blog, d'ailleurs je ne sais plus si j'en ai déjà parlé ici, mais dans la vie en général je suis plutôt un calme. Limite mollusque. Le gars qui perd rarement son sang-froid, et qui ne s'enthousiasme, souvent, que pour des conneries qui n'intéressent personne, comme les mécanismes qui permettent de créer une société harmonieuse ou ceux qui, à l'inverse, n'engendrent que sa destruction. Equipes diverses, entreprises, pays... Pas vraiment de fixette, tout m'intéresse. Donc rien ne m'intéresse. Pas étonnant, dès lors, que je sois une créature généralement incapable de se passionner pour quelque chose qui fait courir les foules. Je vois un peu tout comme un boulot d'analyse, chaque notion, chaque truc, chaque communauté, chaque être ayant un côté pile et un côté face (sauf peut-être Nicolas Sarkozy, dont je parle souvent ici et qui n'a qu'un côté farce).

Ceci dit, l'inaptitude à me jeter à corps perdu dans un combat sans réfléchir, le refus de prendre parti trop hâtivement, ça me sert. Enfin des fois. A l'heure où l'on parle partout des nombreux incidents qui ont émaillé le parcours de la flamme olympique dans la capitale de la France qui, Sarkozy l'avait juré sur la tête de Dadu, devait être "de retour" par exemple, je me souviens que mon flegme, voire mon pessimisme naturel, m'a déjà tiré plus d'une fois d'un bien mauvais pas, comme ce soir de 1986 où je ne me suis ni fait casser la tête, ni tuer, parce que pendant qu'on essayait de réanimer Malik Oussekine sur un bout de trottoir, moi j'étais dans le train, tranquillou... En route pour aller m'enfiler la traditionnelle soupe du soir avec les vieux. Pas super, c'est sûr, mais à l'époque ça a tout de même été mieux que de finir la soirée avec les deux bras pétés ou avec une main arrachée, comme ce manifestant qui avait eu la mauvaise idée de ramasser une grenade lacrymo pour la renvoyer en direction des CRS... Ca a fait boum, sa main s'est envolée.

Toute la journée, je l'avais bien senti de toutes façons, la pression était montée. Moi et des dizaines, des centaines de milliers d'autres étudiants, qui ne connaissions rien du contenu exact de la loi Devaquet, nous étions laissés entraîner sur une pente glissante par des professionnels de l'agitation. Politique. Sans avoir vraiment compris pourquoi, on était arrivés dans nos facs respectives un matin, et tout le monde s'était retrouvé illico embarqué dans une "expédition" à Paris, où personne ne savait vraiment ce qu'il allait faire. Surtout pas moi, qui ne passait en principe par Paris, qu'à l'époque je voyais comme une gigantesque boule puante (ah, la méconnaissance de la capitale), que pour rentrer bouffer ma soupe avec les vieux.

Bref, une fois arrivés dans la ville lumière, presque immédiatement, tous les petits groupes se sont dissous. Absorbés, happés, emportés par une masse énorme qui semblait tout devoir écraser sur son passage, et dans laquelle plus personne ne connaissait plus personne. Paradoxalement, ça contribuait à resserrer les rangs. Tout juste si on ne parlait pas de "marcher sur l'Assemblée", pour faire un remake de 1789 (!), alors que par un tel temps de chiotte, les boutonneux que nous étions auraient tous été beaucoup mieux à ronfler pendant un cours de droit constit' ou de psycho...

Les robots étaient là, eux aussi. Rien à foutre de la météo, il y en avait partout. Déjà équipés de protections avec des boudins, à l'époque (si ma mémoire ne me trahit pas), le bouclier appuyé le long de la jambe et la matraque à la ceinture. Dans les rangs, ça commençait à bruisser un peu. Visiblement inquiets de l'ampleur de la marée humaine qui s'écoulait lentement devant eux, les robots faisaient mine de ne ressentir aucune émotion. Ils restaient plantés dans leurs Rangers, semblant barrer les rues trop cossues pour qu'on permette à l'étudiant d'y gambader, mais plaçant en fait, sans avoir l'air d'y toucher, l'ennemi sur un itinéraire qui devait le conduire tout droit en zone découverte, là où l'on pourrait donner toute l'artillerie.

Alignés derrière leurs barrières, tout au long du trajet, j'ai remarqué qu'ils nous regardaient d'une façon de plus en plus étrange. Narquoise, en vérité, alors que des naïfs qui n'avaient pas senti monter la pression continuaient de les haranguer, aux cris de "C-R-S, a-vec-nous !". C'était comme pisser dans un violon. A distance, on entendait de plus en plus souvent les radios crachoter, sans saisir un traître mot ce qui se disait, et quand la marée s'est enfin répandue sur toute l'esplanade des Invalides, où j'ai fini par arriver avec les pieds en compote, j'ai "senti" que les robots allaient se mettre en branle. Sur ordre. Ils commençaient à trépigner il faut dire, ça faisait des heures qu'on leur avait ordonné de faire les poireaux dans l'humidité et dans le froid... Je me suis dit que ça allait saigner, alors je suis sorti du troupeau. Juste à temps.

Voilà, en gros, le genre de raisons pour lesquelles je suis pleinement satisfait de ma condition de "manifestant une fois dans sa vie". Il ne m'est jamais venu à l'idée, par exemple, de m'impliquer physiquement dans une lutte "contre" les JO de Pékin. Je sais trop bien comment des journées comme celle d'hier commencent, et aussi comment elles se terminent, pour ceux qui ne savent pas s'arrêter, les journées où l'on entend simplement revendiquer un peu plus bruyamment que d'habitude passant souvent d'une ambiance bon enfant à de petites anicroches, qui font monter la sauce, anicroches qui précèdent elles-mêmes les premiers incidents, jusqu'à l'escalade traditionnelle dans ce genre de manifestations qui se solde toujours par le même bouquet final, à savoir les explosions de tronches en série...

Ignorant tout des événements qui étaient en train de se dérouler hier après-midi, de retour de mon entretien j'ai suivi les infos de 18 heures sur iTélé, et découvert avec stupéfaction qu'alors que quelques heures plus tôt je croyais m'être rendu à Paris, capitale de la France, je m'étais en réalité rendu à Beijing-sur-Seine, une ville digne d'un roman de Pierre Boulle, avec des centaines d'hommes de troupe armés au moins de casse-têtes et équipés de menottes, chargés d'assurer la progression sans encombres d'une "flamme" censée symboliser l'amitié entre les peuples (...) sur quelques kilomètres, et tout une escouade dédiée à la protection rapprochée du "symbole", escouade composée en totalité de troupes... chinoises ! En plein Paris !!!

Diffusion d'images mémorables, notamment celles où l'on voit des centaines de Chinois brandissant "leur" drapeau national (toujours en plein Paris), tout en crachant à distance sur un effectif beaucoup plus restreint de Tibétains, venus pourtant de toute l'Europe pour réclamer la liberté pour leur pays (bien mauvaise idée, car Paris était hier une ville chinoise).

Les Chinois, largement majoritaires sur les images que j'ai vues et formant, un peu comme en 86, une marée humaine, mais de porteurs de drapeaux, assuraient ne pas être venus pour faire de la politique (ce serait indigne des JO !), pendant que les Tibétains, un peu plus modérés, semblaient abasourdis de retrouver dans les rues de la capitale française la chape de plomb à laquelle ils avaient cherché à échapper en fuyant le Tibet. Tout ça sous le regard imperturbable des policiers, qui cavalaient, et d'athlètes qui pour l'honneur de la compétition auraient tous participé aux JO de Berlin en 1936, au nom du même "idéal sportif" qui à l'époque les aurait poussés à fermer les yeux sur des bricoles comme la Gleichschaltung (une sorte de Sarkozysation de l'Allemagne), l'emprisonnement, la torture et le meurtre des opposants politiques pratiqués par la SS dès 1933, ou l'existence du camp de Dachau, ouvert lui aussi trois ans avant les jeux de Berlin.

Les athlètes se demandent pourquoi ils ont reçu des canettes, peut-être devraient-ils se demander pourquoi ils n'ont pas reçu des enclumes... Dans Paris, qui "défend les droits de l'Homme partout dans le monde", hier on a cassé du Tibétain, un Chinois s'autorisant même à éteindre une flamme qu'on avait cherché toute l'après-midi à protéger à tout prix de l'extinction (!). Pour signifier aux "sauvages" français que les dérives criminelles de ceux qui déploient des banderoles ne sont pas tolérables pour une démocratie aussi exemplaire que l'Enorme Chine ? Même le pauvre Douillet, qui en a eu le souffle coupé, n'en a toujours pas la moindre idée !

Tout cela valait bien une sortie hors de leur palais d'une bonne quarantaine de députés, qui urinent sur les détenus marinant dans nos prisons-dépotoirs, comme sur les clandestins stockés comme des rats dans des centres de rétention administrative pendant des semaines, mais qui non, ne sauraient tolérer sous aucun prétexte qu'on ne libère pas le Tibet du joug des tyrans communistes (GRRR!), et qu'on ne se mette pas dans la foulée à respecter les droits de l'Homme en Chine !

On a beau avoir son opinion propre sur un tas de sujets, comme celui-ci, il y a des moments où vraiment, on peut ne pas se sentir du tout concerné par ce qui se passe (*). Pas vrai Douillet ?

(*) L'un des nombreux avantages du flegme, c'est qu'il protège aussi du ridicule.

Des députés crient "Liberté pour le Tibet" devant une flamme... invisible
http://afp.google.com/article/ALeqM5h-GeMLUsi3KbGxNXvh1DgPr6Kpfg

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Commentaires
M
Je t'ai envoyé un article
P
Plusieurs des sujets que tu évoques ici seront "traités" dans le sujet de ce soir. ;)
A
Bonjour,<br /> <br /> Suppression des avantages pour familles nombreuses, augmentation du prix du gaz, chasse aux chômeurs... Tout va bien. Parallèlement, la France est humiliée par des gros bras, des CRS tapent sur des manifestants, des journalistes et...l'agité entend tailler une grosse P...à Bush en Afghanistan. Tout va bien ! Que faut-il encore pour dire NON ? Billet à lire sur le consul Sarkozy dans une France sous occupation. <br /> <br /> A+
P
Nous comprenons Marc, Nous comprenons. :)
M
Pas le temps en ce moment mais je te lis!
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